« Luxure »

De Ginger DANTO, écrivain et critique d'art

La morgue des subtiles impulsions qui mènent l'artiste vers son atelier, conduisent sa main vers un pinceau fraîchement enduit et de là vers la toile pour tracer lignes ou petites taches, témoigne d'une même urgence première qui se manifeste également lors de tout acte de communion de l'artiste avec le monde extérieur, comme faire à manger, faire l'amour, ou engager une conversation.

Vitale, cette urgence est aussi irrémédiable car elle est manière dont l'artiste vit le monde. Urgente, elle fait inévitablement sourde les aspects passés, présents et futurs de l'existence. Reconnaissable, elle l'est plus dans la particularité du travail de l'artiste que dans sa personne même, et dépasse les mythiques 'sillons du pinceau et doigts maculés' pour atteindre l'espace appelé Art où toutes ces urgences physiques se révèlent.

Dans le travail de Beate Renner, ce besoin est violent ; il est offert de façon évidente par ses amples toiles où se déploient les pistes aux mystérieuses scansions de couleurs éclatantes. " J'ai du mal avec les petits formats ", nous dit-elle, prenant pour exemple une surface représentant néanmoins la moitié d'un mur de sa chambre à coucher ; ce que d'aucun pourrait déjà considérer comme très suffisant pour permettre une expression picturale ! Mais les idées de Beate Renner sont sans limites, elles sont plurielles, complexes et prolifiques. Elles découlent de l'être, les contenir serait par nature impossible et contradictoire. Les transcrire par le médium de la peinture est déjà compromission, leur donner des limites, comme celles des murs qui les portent, déjà une atteinte. Libre de toute contrainte, la peinture de Beate Renner s'étendrait jusqu'aux confins du monde.

Consciente des limites techniques, elle dépeint un univers plus personnel, composé par tous les souvenirs enfouis, les songes de l'expérience, de la culture, des désirs, du spleen.

Le contenu narratif qui en découle devient abstrait en de nombreuses formes et couleurs, laissant ces obsessions se développer en récurrences d'images-clefs, feuilles, phallus etc. peints de manière évidente ou sciemment elliptique. La notion opératoire dans le travail de Beate Renner est celle d'un 'paysage', parfois attribué à la terre, à la mer ou à d'autres topos. Ces paysages viennent-ils du ciel ou de son tréfonds ? En résulte l'esquisse d'un territoire plus défini où même parfois les titres des peintures précisent un univers psychologique ou émotionnel particulier. Par ces titres, ces scansions et récurrences, Beate Renner nous guide vers ces lieux et nous invite à y pénétrer par de multiples entrées suggérées, comme, sur une carte géographique, un nom de ville, de rivière, ou de limite, nous indiquent les pointes pertinentes et structurantes d'un espace.

Ces démarcations, vues ici en formes nuageuses, plus loin comme profondeurs d'ombre ou lèvres oblongues, en couleur comme cette omniprésent Orange Rennerien, suggèrent toutes ensemble une sorte de légende personnelle, quelque chose dans et au-delà de la représentation immédiate. Libre à nous de choisir une de ces entrées, un de ces chemins. La destination est la découverte et, surprise, nous serons cette découverte, révélés grâce au mode à la fois intime et universel de sa quête picturale.

Dans un style qui a volontairement évolué de la figuration à l'abstraction, Beate Renner a payé allégeance aux acquis et héritages qui ont sans doute aucun servis son inspiration.

Elle cite Pollock, ses fugaces trajectoires de couleurs liquides projetées sur une surface devenue pivot, et aussi les entrelacs d'explosions de Kandinsky dont la casuistique technique effacent le sujet. Elle nous rappelle les nuances tropicales de Gauguin, le clair-obscur de Rembrandt, la totalité de Van Gogh, y compris la folie. Mais il est au grand bénéfice de Beate Renner qu'elle ne se soit pas laissée enliser par l'amalgame de ces moments successifs de l'Histoire de l'Art mais qu'elle se soit forgée sa propre voie picturale, intégrant un vaste matériel disparate sans l'imiter. Sa voie résolue présuppose d'évidence une passion née du besoin, de motifs et d'un désir.

Les travaux réunis ici témoignent de la maîtrise par Beate Renner de toutes ces impulsions fondamentales pour l'artiste, réinventant perpétuellement dans son atelier notre raison d'être.

Traduit par Charles Foster Koute